Laurent de Villiers: Une Résistance Hors du Commun, Part Trois


Il s’est présenté sur un plateau de télé où le doute planait, se disait parfois assez crument; et chose inouïe, il a affirmé à la toute fin de l’entrevue: raconter me fait du bien, me guérit, me redonne droit à ma vie, et on le croit, bien sûr, parce qu’on voit - la caméra fait un plan rapproché - un immense moment de détresse dans la fixité du regard quand on le questionne sur sa culpabilité de victime et de bavasseur, mais on le croit aussi parce que jamais la parole ne dérape, parce que le propos reste généreux, impeccable, utile même, parce qu’il ne se défend jamais du piège qu’il doit bien deviner, pourtant, deviner qu’on déguste, quand même un peu, autour de lui, dans ce genre de spectacle, du grand nom qui déballe une histoire embarrassante pour la famille illustre et pour la famille politique de son père, ce qu’il admet sans peine, sans trouver cela drôle, sans en tirer quelque avantage stratégique pour sa propre cause. Sa cause, Laurent de Villiers l’anoblit. Il dit: « On porte la responsabilité de son père ». Il dit: « Mon combat n’est pas un combat de haine. » Il dit: « Je souhaite à ma famille de lire mon livre parce que ça peut les toucher ». Laurent de Villiers est père. Je ne sais pas ce que c’est comme expérience d’amour, mais j’imagine que la responsabilité est telle, que ça oblige à vaincre ses peurs, que ça décuple le courage, que ça pousse irrésistiblement à protéger à tout prix. Lui en tout cas illumine à simplement évoquer sa fille, et son désir d’être un bon père. C’est là-dessus qu’on devine sa force, et qu’il achève de convaincre, complètement. On connait mal son histoire au Québec; et pourtant, le combat que mène Laurent de Villiers rejoint celui de jeunes hockeyeurs, ou d'anciens élèves de pensionnats, ou de jeunes autochtones abandonnés aux mains d'agresseurs protégés par le « prestige », et par conséquent restés trop longtemps incontrôlés. Laurent de Villiers ouvre à son tour, et avec quel talent, la porte restée solidement fermée sur les abus sexuels perpétrés sur de jeunes garçons. Il renverse la honte, une des pires hontes sociales qui soient. En ce sens-là, il fait l'histoire. Dans l’immédiat, Laurent de Villiers, parce qu’il a eu gain de cause devant la Cour de cassation, plonge à nouveau dans un processus judiciaire, contre son frère et sa famille, pour « ne plus être accusé de mensonge ». La cour d’appel de Lyon va devoir rouvrir le dossier de l’affaire, juger à nouveau de la pertinence d’un procès. « On n’a pas envie d’envoyer son frère en prison »; mais on a certainement envie d’être cru, de vivre mieux, à l’encontre de tous ceux, nombreux, qui ont abusé ces dernières années du courage de Laurent de Villiers.

Laurent de Villiers: Une Résistance Hors du Commun, Part Deux


C’est dire si j’hésite à suggérer de transformer ce blogue en livre. Je panique à la seule idée de témoigner, où que ce soit – et pourtant, j’aimerais le faire, et je fantasme souvent de me raconter, au « colloque de sciences humaines », à mon Collège, ce qui serait une véritable résurrection de ma dignité, une véritable restauration de mon intégrité… Mais à dire vrai, jamais, jamais, je n’aurais ni n’aurai le courage de Laurent de Villiers. (Ceux et celles qui me lisent, parfois, se souviendront peut-être que j’ai déjà écrit un billet sur lui, en janvier dernier). Il s’est présenté sur le plateau de télé de Laurent Ruquier pour y parler d'un livre autobiographique qu'il vient tout juste de publier, chez Flammarion, rien de moins; il y a été soumis, littéralement, à la question. L'aplomb de ce jeune homme, du fait des obstacles considérables qu'il a dû franchir, m’a renversé, épaté. L’écoutant, j’avais le cœur qui cognait fort. Lui est resté calme et modeste, a soutenu qu’il a été forcé de raconter sans équivoque le drame du petit garçon qu’il a été, par défaut d’une solidarité familiale qu’on lui a promise puis retirée, ultime manipulation qui ne lui laissait d’autre choix que la visite chez le juge d’instruction, pour raconter le délit, et se libérer du crime dont il a été la victime. Il a écrit, publié, sous son vrai nom, l’histoire du viol qu’il a enduré trois ans durant ; c’est un grand nom, les de Villiers, le dévoilement d’une histoire pareille ne pouvait être autrement que considérable, et dramatique; il l’a été, parmi ses proches, bien sûr, mais dans la presse, aussi, qui s’est parfois outrageusement bidonné de la chose racontée, oubliant qu’il y avait là une victime, un homme, un jeune père, un expatrié, un survivant, qui cherchait désespérément le secours et le soutien des autres, à retrouver confiance dans le genre humain. (Il y a toujours de quoi rire, bien sûr, quand un catholique ultra se retrouve face à un inceste dans son propre clan, qu’il a politiquement instrumentalisé ; c’est tout comme lorsqu’un archevêque de Paris meurt dans les bras d’une prostituée - pour faire image…) Il n’y a plus rien à rire quand on regarde et qu’on écoute Laurent de Villiers.

Laurent de Villiers: Une Résistance Hors du Commun


Ma famille m’a tourné le dos depuis deux ans que mon frère aîné m’a écrit une lettre, dont j’ai parlé sur ce blogue - c’était là sa troisième lettre sur le même sujet, - lettre où il triturait les faits, et me demandait pardon pour une histoire d’inceste qu’il a réécrite au préalable, pour en faire, croyait-il, une authentique insignifiance, qu’il a préméditée comme le seul récit crédible, avec lequel il pourrait vivre les « dernières » années de sa vie. Personne pour m’écrire, pour s’intéresser à ce que j’ai pu vivre, s’interroger sur mon silence, sur mon refus de répondre à mon frère, d’accepter sa version des faits et de pardonner. Refuser le pardon, c’est toujours perdant. Mon frère aîné le savait bien, il pouvait compter que je ne pardonnerais pas, pas au vu de sa lettre et au récit méprisant qu’il faisait des pratiques incestueuses qu’il avouait, c’était évident; implorant mon pardon, il manipulait tout le monde, tous les lecteurs des nombreuses copies conformes qu’il avait faites de sa lettre. C’était aux autres, en fait, femme, sœur aînée, neveu, nièce, d’autres encore, que s’adressait sa lettre: je n’ai rien fait de grave, Richard n’était qu’un bébé, il avait trois ans, peut-être quatre, il ne peut pas avoir été marqué par quelques coups de langue purement anecdotiques… Je n’ai rien pardonné du tout. C’est lui qu’ils ont cru. Je reste seul avec les confidences que mon frère m’a faites, verbalement, en tête-à-tête, et que je ne peux raconter ici sans risquer des poursuites criminelles pour ce que je n’ai pourtant qu’entendu…; je suis seul avec l’histoire de ma longue, très longue démarche thérapeutique pour sauver ma vie; et je suis seul avec ma jeune sœur, avec qui je forme une petite famille reconstituée. Mais nous, nous savons, et c’est ensemble, d’ailleurs, que la vérité s’est dite pour la première fois, une vérité qui s’est par la suite longuement et lourdement exprimée par la souffrance, la terreur et l’isolement, la dévastation de l’inconscient, l’impression de la folie complète, la phobie d’impulsion et de liberté, la crainte horrifiée des êtres humains, de leurs regards, de leurs intentions, et de leur vengeance monstrueuse s’il s’avérait que je me révèle… Mon frère, mon père, surtout, ont longtemps erré dans ma tête, m’ont terrorisé, m’ont excité. J’ai eu honte. J’ai encore honte. Je souffre encore du trouble de la parole - « ça s’entend », me disait Péraldi. Et il m’arrive encore d’avoir besoin de me cacher.